Enfants précoces : pourquoi la recherche se trompe ?
Aujourd’hui on va parler du problème qu’il y a sur les recherches sur les enfants intellectuellement précoces. C’est très important de comprendre comment ces résultats sont trouvés parce que ça explique pourquoi on tombe sur des résultats tellement différents. Et c’est justement à cause de ces résultats tellement différents qu’on trouve de tout et de rien (et beaucoup de bêtises !) sur internet sur les enfants précoces.
Je m’appelle Paul, et mon haut potentiel a été détecté il y a plus de dix ans maintenant. Sur Connect The Dots, je partage ce que j’ai appris pour aider les petits nouveaux.
NB : cet article est la transcription de la vidéo ci-dessus.
Comment fonctionne le processus scientifique ?
Avant d’aller plus loin dans cet article je voulais vous parler du processus scientifique global. Comment ça se passe ? Alors d’abord on fait une sélection des personnes sur qui on va s’intéresser (ou de la chose à laquelle on va s’intéresser). Dans notre cas c’est les enfants intellectuellement précoces. Ensuite, ces sujets ils sont testés et analysés. On en ressort des résultats qui sont publiés. Puis ces résultats sont utilisés comme base dans des écrits grand public (à la télé, dans les journaux, etc.).

Sauf que chez les enfants intellectuellement précoces, on remarque que ces grands médias (qui se basent tous sur des véritables articles scientifiques) sortent des conclusions différentes. Pourquoi ? D’où vient cette différence ?
Problème dans la définition de l’Enfant Intellectuellement Précoce
La première source vient de la définition même des enfants intellectuellement précoces. Vu qu’on n’arrive pas à s’accorder sur ce qu’est l’intelligence, on a du mal à être d’accord sur ce qu’est la grande intelligente, le haut potentiel. Et on s’accorde encore moins sur la façon de le mesurer !
Les variations de définition de l’EIP
On a tendance à dire que la définition classique du haut potentiel c’est d’avoir au moins 130 points de QI au WISC (Wechsler Intelligence Scale for Children). Il s’agit de la version enfant du test de QI WAIS. Certains scientifiques ont décidé de prendre la limite de 135, d’autres 120, d’autres encore 125 ! D’autres encore n’utilisent pas la WISC mais le K-ABC. Ça peut provoquer des petites frictions parce que le ces deux échelles ont une corrélation qui n’est que de 0,77. D’autres encore rajoutent des petits trucs : la créativité, le théorie des intelligences multiples…
Aux États-Unis dans les années 70 ils ont essayé de mettre un cadre légal à cette définition. Mais finalement le cadre a été changé d’une administration à l’autre, et également entre chaque États. Du coup, légalement, toutes les définitions ont le fait que la grande intelligence est présente. Mais chacun a ajouté sa petite variation. Il y en a c’est la réussite académique, certains États ont mis la créativité, le leadership, les aptitudes artistiques, les habiletés psychomotrices, la motivation, l’engagement la pensée critique, les capacités d’apprentissage… Bref, chacun a mis sa sauce.
Variabilité des définitions de l’enfant précoce
Pour comparer tout ça, une recherche a été faite en 2013 par la scientifique Carman. Elle a fait une grande étude comparative. Pour ça elle a pris 104 articles scientifiques anglais qui traitaient des enfants intellectuellement précoces.

Sur ces 104 articles, 62% utilisaient comme définition de la précocité une mesure de QI.

Sur ces 62%, 52% utilisaient 130 comme mesure de QI. Ça fait seulement 32% des articles en tout !

Et sur ces 32% il y en avait encore certains qui utilisaient des critères supplémentaires. Ça veut dire que moins d’1/3 utilisent la définition classique de l’intelligence – et uniquement ça.
Différents résultats scientifiques autour des recherches sur les enfants zèbres
Ce sont ces divergences dans les définitions qui peuvent expliquer des résultats paradoxaux. Par exemple si on se pose la question de « est-ce que les enfants intellectuellement précoces dorment plus ou moins que les autres ? ». J’ai pris deux articles scientifiques. Le premier (à gauche) conclut que les enfants intellectuellement précoces dorment moins. Celui à droite, qu’ils dorment plus !

Si on prend ces deux articles qui traitent, entre autres, du fait que les EIP souffrent plus de fatigue et de dépression, on a celui en bas à gauche qui dit que « oui ils souffrent plus que les neurotypiques » et celui à droite que « ça ne change rien ».

Là, même problème avec les troubles de l’attention. À gauche on dit que les EIP ont plus de troubles de l’attention. Et à droite que ça ne change rien.

Vu qu’il y a toutes ces définitions différentes on ne peut pas vraiment comparer les résultats parce qu’ils ne mesurent pas vraiment la même chose. Et c’est pour ça que les conclusions ne sont pas les mêmes. Mais attention : ce n’est pas pour autant que ces conclusions ne sont pas valides. Elles sont toutes valide, mais finalement elles mesurent pas exactement la même chose. D’ailleurs, vous allez voir que ce problème de définitions qui divergent… n’est pas la chose la plus problématique.
Le biais d’échantillonnage des EIP
Vous le savez : on dit généralement que le haut potentiel intellectuel (HPI) est à partir de 130 points de QI. Ça fait 2,5% de la population selon la loi la loi normale de Gauss. 2,5% de la population c’est une personne sur 40 (100/2,5). Donc logiquement, un enfant sur 40 est un enfant intellectuellement précoce. Dans la même idée, si on veut étudier 100 enfants intellectuellement précoces, il faudrait qu’on arrive à tester le QI de 4000 enfants.

À cela vous comptez plusieurs heures par test de QI. Vous verrez vite fait que ça fait beaucoup quand même. Et ce « beaucoup de temps passé » ça coûte beaucoup d’argent. Et ça, les scientifiques n’aiment pas trop. Enfin non. Ce n »est pas qu’ils n’aiment pas. C’est qu’ils n’ont pas forcément les moyens. Alors pour essayer de réduire ce temps passé à tester tout le monde, ils s’appuient parfois sur des aides (qu’on pourrait qualifier de discutables) pour faire une présélection.
Biais d’échantillonnage à cause de stéréotypes
La première solution qui est parfois employée c’est qu’on va voir les écoles et qu’on leur demande d’envoyer uniquement les élèves qui, selon eux, sont des enfants intellectuellement précoces. Comme ça, parmi le groupe d’élèves qu’ils vont recevoir, ils auront plus que 2,5% d’EIP. Finalement, ça fait moins d’enfants a tester pour un résultat comparable. Sauf que le problème c’est que les professeurs qui envoient les élèves ne sont pas spécialement qualifiés pour les remarquer. Mais surtout, ils se basent sur des stéréotypes qui sont faux. Pour ça, je vous invite à lire mon article sur les stéréotypes des surdoués.

D’ailleurs, pour la petite histoire, il y a un scientifique et qui a voulu faire ce processus. Il a demandé à trois écoles de lui envoyer leurs surdoués. En voyant les élèves arriver il a vu qu’il y avait eu un problème, qu’il s’était passé quelque chose. Il a décidé de renvoyer tout le monde et de faire passer un test de QI à tous les enfants de ces trois écoles. Le résultat qu’il a eu, c’est que la pré-sélection faite par les professeurs avait oublié 20% des enfants précoces. 20% ça a quand même de quoi bien fausser les résultats.
Biais d’échantillonnage dans une population particulière
Deuxième solution innovante : on va chercher les enfants précoces dans des endroits précis (par exemple une école spécialisée pour les enfants précoces). C’est notamment ce qu’ont fait deux scientifiques en 2012. La conclusion à laquelle ils sont arrivés dans leur étude c’est (vous allez rire) que les EIP sont bien intégrés socialement. C’est normal ! Ils les ont trouvés dans des écoles spécialisées où ils ont une aide particulière. Ils ne sont pas représentatifs de ce qu’il se passe dans la société normale.

Ce biais d’échantillonnage se produit aussi quand on va chercher les enfants dans des cabinets psychologique ou au sein d’associations pour enfants précoces. C’est facile pour un(e) psy de dire que tous les EIP ont des problèmes vu que, a priori, il/elle ne voit que les EIP qui ont des problèmes (parce que les autres ils viennent pas chez le/la psy).
Globalement il faut que je note que ces biais d’échantillonnage sont assez répandus dans la recherche, pas uniquement chez les enfants précoces. Faites-y attention si vous êtes un(e) lecteur(trice) d’articles scientifiques.
Les conséquences de ces variations sur l’image des enfants zèbres
Si on en revient à notre parcours scientifique, on comprend que les différences en début de parcours (le biais d’échantillonnage et la différence dans la définition de ce qu’on mesure) peuvent aboutir sur des résultats différents (mais des résultats qui ne sont pas pour autant invalides, attention !). C’est cette multitude de résultats scientifiques et ce flou qui contribue à brouiller et à fausser l’image que les grands médias font des enfants intellectuellement précoces.

D’ailleurs, autre exemple, on va parler de l’anxiété. Des chercheurs ont mené une étude sur Facebook. Ils ont fait un sondage en demandant aux gens si, selon eux, les enfants intellectuellement précoces étaient plus anxieux, moins anxieux ou autant anxieux que les autres. Les résultats Facebook ont été à 92% plus anxieux et les 8% restants ont dit qu’ils étaient aussi anxieux. Ensuite ils ont comparé ça avec les résultats d’articles scientifiques. Ces articles scientifiques disent à 46% que les EIP sont moins anxieux, 39% autant anxieux et 15% plus anxieux.

On voit bien deux choses. Déjà les articles scientifiques disent tout. Ils ont les trois volets : ils sont plus anxieux, moins anxieux, et autant anxieux. Mais surtout, on voit que ces résultats qui varient font complètement perdre la notion de ce qu’est un enfant intellectuellement précoce pour les gens sondés.
Enfin bref, je ne vais pas m’étendre là-dessus. Globalement il est important d’arriver à normes et à le définir clairement. Si vous voulez en savoir plus sur cette thématique de la douance, des enfants précoces, sachez que j’envoie un mail avec les actualités du sujet chaque mardi à ce qui le souhaitent. C’est totalement gratuit (évidemment) et on est déjà plusieurs milliers dessus.
En tout cas merci d’être resté jusqu’au bout de cet article, ça m’a fait très plaisir ! À la prochaine !
Sources
Bert, C. (2012). Enfants surdoués : historique. A.N.A.E., 119, 399-404.
Carman, C. A. (2013). Comparing apples and oranges fifteen years of definitions of giftedness in research. Journal of Advanced Academics, 24 (1), 52-70.
Gauvrit, N. (2014). Précocité intellectuelle: Un champ de recherches miné [Gifted children: An undermined field of research]. A.N.A.E. Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 26(132-133), 527–534.
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